La Mâyâ est une notion très importante dans la spiritualité indienne. C’est l’allégorie de l’illusion, représentée comme une déesse.

Cette notion atemporelle vient nous poser la question existentielle de notre relation à la vérité. Qui n’a pas été confronté à ce dilemme vérité versus (men)songe ? Qui ne s’est pas bercé d’illusions au cours de son existence ?
Il me semble important de décrire ce qu’est la Mâyâ et de rappeler la possibilité que nous avons de nous en détacher.

La Mâyâ vient bien sûr nous questionner également sur notre relation à la réalité : qu’est ce que la réalité ? Le monde dans lequel nous évoluons est il réel ? La Vie elle-même n’est elle pas un songe, comme l’écrivait Calderòn de la Barca (dramaturge espagnol de l’époque baroque) dans sa célèbre pièce, La Vida es sueño ?

 

 

 

Les définitions du mot sanskrit « Mâyâ » la décrivent comme la puissance de l’illusion (Mayashakti), c’est-à-dire la puissance créatrice de formes qui en vient à voiler l’être. C’est le monde des apparences, des formes évanescentes, illusoires, qui voilent la réalité profonde, éternelle et stable de l’être (Brahman).

L’image associée à la Mâyâ est celle du voile qui vient faire écran et recouvre la réalité.
Cela signifie que tout ce qui est expérimenté dans l’univers manifesté est une projection du mental, soit au niveau individuel, soit au niveau cosmique.
Ce que nous voyons dans l’univers physique voile quelque chose qui existe dans le monde divin mais qui n’est pas perçu dans le monde physique.
Cela nous confronte à la notion de l’invisible et à la capacité que devons développer de voir au delà des apparences. Ce que nous voyons et percevons à travers nos 5 sens peut être source d’erreur, déjà par le fait même que nous ne pouvons pas décrire ce que nous percevons exactement comme vrai ou réel. La difficulté réside bien dans le fait que si tout objet peut être perçu avec et à travers le mental, le mental interfère avec la vision vraie.

Pour accéder à la réalité vraie, il faut donc déchirer le voile de l’illusion et cela est possible en s’extrayant du mental raisonnant et en se libérant des perceptions qui nous arrivent de nos 5 sens, en développant une écoute et une perception subtiles des choses, en étant en contact direct avec l’objet de notre perception. Le fonctionnement de notre mental n’est pas habitué à cela ! Cela nous demande un effort.
Mais des pratiques comme celles que nous propose le Hatha Yoga tel qu’il est décrit dans la voie royale de Patanjali dans les Yoga Sutra nous y aident bien évidemment ! Les Yogis étaient des « Rishi », des voyants qui avaient déjà compris toutes les subtilités de l’esprit humain et tous les obstacles qu’il est susceptible de rencontrer.

Comme l’explique Alain Delaye dans son livre B.A.-B.A. de l’hindouisme, les deux grands courants spirituels de la philosophie indienne qui parlent de la Mâyâ sont centrés sur un monisme unitaire (ou non dualité) :

– Les Upanishads anciennes (VIIIe au IIIe siècle av. JC) :

Une des étymologies du mot « Upanishad » est celle de « connexion, mise en rapport ». En ce sens, la connexion la plus importante est celle établie entre le Brahman – mystère unitaire et initial, à la source des dieux et du monde – et l’atmân : le Soi présent en chaque individu, réalité essentielle sous jacente au niveau empirique de son existence.

« Ce qu’on appelle brahman, c’est cet espace qui est extérieur à l’homme ; mais cet espace qui est à l’extérieur à l’homme est le même qui est à l’intérieur de l’homme, celui là même qui est au dedans du coeur ».
Chandogya Upansihad

 

Le mantra « Tat tvam asi » (Tu es cela) – l’un des plus célèbres de l’hindouisme – est la formule qui exprime l’unité de l’atmân et du brahman. Le « Tu » n’est pas le moi mais le Soi profond, libéré de ses superstructures liés à l’ego. Cette libération suppose toutefois une ascèse, laquelle implique un détachement et l’abandon des désirs fragmentaires qui bloquent l’accès à l’unité intérieure.

 

Le Vedanta (ou Advaïta Vedanta) :

Décrit et défendu en particulier au VIIIe siècle par Shankara, le Vedanta a pour message principal l’intuition du Soi, cette identité donc entre le brahman cosmique et l’atmân individuel.

Au niveau cosmique :

Le Divin peut, selon lui, être appréhendé sous deux formes :

  • au niveau absolu : le Divin est sans formes, il n’est ni ceci ni cela (neti neti).
  • au niveau relatif : il peut avoir des qualités et être perçu alors comme Sat Cit Ananda (Être-Conscience-Béatitude).

Mais la distinction entre ces deux niveaux d’appréhension est elle même illusoire car elle est provoquée par une puissance cosmique qui fait apparaître des formes, des différences, des distinctions : c’est la Mâyâ cosmique.

Au niveau individuel :

La Mâya se manifeste en tant qu’avidyâ (ignorance) : elle est au coeur de chaque individu, c’est elle qui lui fait prendre le reflet pour la réalité, le relatif pour l’absolu, le permanent pour l’impermanent.

« L’ignorance de la réalité, c’est prendre l’impermanent, l’impur, le malheur, ce qui n’est pas le Soi, pour le permanent, le pur, le bonheur, le Soi ».
Yoga Sutrâ, II, 5

 

L’individu n’est pas responsable de cette méconnaissance/ignorance originelle. Mais la Mâyâ demeure malgré tout une source d’illusions, de désillusions et de souffrances et doit être surmontée… si tant est que l’on souhaite de se libérer de la souffrance ! ?
Entre autres, la Mâyâ induit la croyance de l’existence d’un moi séparé, d’un « je », ahamkara (« ce qui crée le je »), qui doit s’effacer grâce à la quête de connaissance pour que puisse alors resplendir l’équivalence du brahman-atmân universel.

Pour le Vedanta, l’acte de la prise de conscience est fondamental : il s’agit de reconnaître notre vraie nature enfouie sous les illusions – les voiles de la Mâyâ qui brouillent notre vue – et sous les surimpressions de l’ignorance. Car l’absolu est toujours déjà là.

« Quand l’ignorance est détruite, le Soi apparaît comme n’ayant jamais été absent, tel le collier que l’on porte à son cou et que l’on croit avoir perdu », écrit Shankara.

 

 

 

L’être individuel dans son exploration empirique de l’existence doit de se dégager de ses désirs fragmentaires et de ses illusions passagères pour réintégrer l’unité du brahman en tant que source lumineuse.
La libération est donc bien un retour à la Source dont la lumière a été temporairement brouillée par la brume de l’ignorance (avidyâ) et les voiles de l’illusion (Mâyâ).

 

On comprend combien le notion de conscience est importante dans la voie, à la fois philosophique et pratique, du Yoga.

Car la pensée unitive des Upanishads et du Vedanta est aussi à l’origine de la voie psychosomatique du Hatha Yoga.

Pour le Yoga, en effet, il y a une connexion entre le corps (microcosme) et le cosmos (macrocosme). Des correspondances et des énergies circulent entre ces deux espaces, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit.
D’après la vision du Râja Yoga (« Yoga royal ») de Patanjali, le corps humain est en symbiose avec la grande Nature,, tout comme dans les Tantra Yoga, qui ont développé la notion de prâna, souffle-énergie vitale universelle commune à la fois à l’Univers et au corps humain.

Sans trop rentrer dans les détails de l’origine du Yoga, il est toutefois important que noter que le Yoga est également inspiré par le Sâmkhya, philosophie ou « point de vue » (dans sa traducition littérale). Or le Sâmkhya est dualiste dans la mesure où il distingue deux grands principes fondamentaux structurant la réalité, deux pôles distincts et complémentaires : le Purusha et la Prakriti.

> Le Purusha est l’esprit présent dans chaque être vivant, ou encore l’ensemble des esprits qui peuplent l’Univers, à la fois libres, contemplatifs et inactifs.

> La Prakriti est la Nature, changeante, créatrice de mouvement et de formes, l’énergie qui se déploie dans l’espace et le temps, qui découle elle même d’un déséquilibre dynamique entre trois grandes forces, les Trois Gunas :

  • une force passive (Tamas),
  • une force active (Rajas)
  • et une force subtile et lumineuse, source d’équilibre (Sattva).

La libération consiste à prendre conscience de l’indépendance de l’esprit par rapport à la Nature changeante.

> Dans la voie du Yoga, en particulier dans sa vision tantrique qui a introduit la notion de l’anatomie subtile de l’être humain, ces deux grands principes originels seront nommés Shiva (conscience) et Shakti (énergie).

« Une illusion est une apparence, mais une apparence a nécessairement pour base une réalité, car rien d’illusoire ne peut exister sans un support d’illusion. En adorant une illusion ou ses manifestations, on adore la réalité qui est derrière elle, c’est à dire l’Immensité à jamais inconnaissable sur laquelle elle repose ».
Karapätri, Shri Baghavatï Tattva

 

Plus simplement – mais est ce si simple ? ? – échapper à la Mâyâ et s’en extraire, c’est déchirer le voile qui fait écran entre entre l’individu et la réalité, entre le moi-ego et le Soi. C’est porter les mains à son cou et toucher – ou retrouver – le collier de la Connaissance : ce bijou de la Conscience universelle toujours-déjà-là au coeur du Soi individuel et que l’on a pourtant (trop souvent) tendance à oublier.

Je termine sur une note plus fictionnelle : j’aime beaucoup cette légende – ou ce conte – qui parle très joliment de l’unité du Soi avec la Conscience universelle au coeur même de notre être. ?

 

Une légende raconte en effet que, dans les premiers temps de l’humanité, les êtres humaines étaient semblables aux dieux, mais qu’ils abusèrent de leurs pouvoirs, si bien que le Maître des dieux décida un jour – afin que les humains cessent d’abuser de leurs pouvoirs divins – de cacher leur divinité.
Où les dieux cachèrent la divinité de l’être humain ? Il fallait trouver un endroit totalement inaccessible !
Les dieux se réunirent et cherchèrent cet endroit, proposant diverses solutions :
– Au sommet de Himalaya ?
– Tôt ou tard, dit el Maître des dieux, l’homme arrivera à escalader les plus hautes montagnes, il est hardi et téméraire.
– Dans une île glacée, perdue au milieu de l’océan le plus dangereux ?
– Tôt ou tard, dit le Maître des dieux, l’homme intrépide réussira à franchir cet océan.
– Au fond des océans ?
– Tôt ou tard, l’homme réussira à atteindre le fond des mers car il est inventif et ingénieux.
– Dans les plus lointaines étoiles inaccessibles ?
Toutes les solutions semblèrent inadaptées tant l’audace, la ruse, l’esprit inventif et l’intelligence de l’homme étaient grands. Le Maître des dieux dit alors :
– Nous la cacherons la divinité de l’être humain donc au plus profond de lui-même, car c’est le seul endroit où il ne pensera jamais à la chercher.
C’est depuis ce temps que les hommes escaladent les plus hautes montagnes, explorent les fonds des mers, volent dans les airs, voyagent jusqu’à la lune, entreprennent de se rendre sur les autres planètes, explorent le cosmos…. à la recherche de ce qui est enfoui au Cœur du Cœur de leur cœur !

 

 

 

 

Bibliographie :

Yoga, l’encyclopédie

Dieux et déesses de l’Inde
B.A.-B.A. de l’hindouisme, de Alain Delaye

 

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2 commentaires

Claudie le corre · 22/11/2021 à 10:11

Bonjour Fabienne!
Je ne me lasse pas de lire tes articles toujours si claires et bien construits!
Belle journée et continue…

    Nina Costa · 22/11/2021 à 12:49

    Merci du fond du coeur chère Claudie ! ?
    J’écris mes articles avec ferveur et conviction, avec la passion de la transmission du Yoga qui m’anime.

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