L’image du puits revient souvent dans le Yoga Nidra, pratique yoguique très ancienne de « sommeil éveillé ». Il s’agit d’une visualisation pendant laquelle on s’imagine en train de descendre au fond d’un puits : la descente est longue, le puits devient de plus en plus sombre, puis on aboutit à une caverne au centre de laquelle brille une flamme… Après être resté devant la lumière de la flamme, on commence alors le voyage de retour pour remonter à la surface et retrouver la lumière du soleil.

Il s‘agit, à l’aide de ce voyage yoguique, d’aller visiter intérieurement les strates profondes de la psyché, le monde de l’inconscient (que l’on atteint rarement, ou pas facilement ?), ou encore notre ombre, ce paysage intérieur que l’on n’aime pas trop explorer…?

 

Gloaming (Angus Macrae)
Crépuscule, fin, déclin… puiser au fond, chercher ce qui doit mourir pour que naisse le nouveau ? ?

 

 

Symboliquement, l’image du puits peut être ambivalente : si sa fonction est bénéfique puisqu’il offre aux hommes l’eau nécessaire à la vie, le fond du puits peut, lui, être à l’origine de peurs, voire de terreurs. L’idée de tomber dans le fond du puits… (peut être sans fond ?) fait partie de l’imaginaire collectif.

Qui ne se souvient pas du début du livre de Lewis Carroll, le moment où Alice suit le lapin blanc, glisse dans le terrier, et tombe vertigineusement ?? ???

“Le terrier était d’abord creusé horizontalement comme un tunnel, puis il présentait une pente si brusque et si raide qu’Alice n’eut même pas le temps de songer à s’arrêter avant de se sentir tomber dans un puits apparemment très profond.”

 

Alice au pays des Merveilles, de David Chauvel et Xavier Collette, éditions Glénat

 

La symbolique du puits

 

Le puits est un très beau symbole de passage initiatique et de lien ; c’est aussi symboliquement un lieu de ressourcement intérieur et une possibilité de centrage.

Le mot « puits » vient du latin « puteus » (sans doute d’origine étrusque). Il est intéressant de noter que de ce mot ont été forgés deux verbes aux sens diamétralement opposés : puiser et épuiser.
– « Puiser », c’est prendre quelque chose : au sens propre, on prend un liquide (à une source, dans une rivière, à un puits donc) ; au sens figuré, on la prélève dans un contenant, on l‘extrait d’une réserve, ou encore on l’emprunte (puiser ses sources dans un livre par ex.).
– Tandis que le sens d’ « épuiser » est de mettre quelque chose à sec (un puits ou des ressources) avant de signifier “fatiguer à l’extrême”.
Quand on puise l’eau, on se remplit de vie et de vitalité, alors qu’on dit qu’on est épuisé quand on est dépossédé de ses forces vitales…

Cette opposition entre l’humide et le sec montre bien la dualité entre la vie et la non vie, mais aussi entre le monde de l’esprit et celui de la matière.

On retrouve cette idée dans plusieurs traditions : le puits, symbole sacré, représente le passage entre les trois éléments : l’eau, la terre et l’air. Il est aussi la voie vitale de communication avec le séjour des morts.
Symbole de l’abondance et de la source de vie, source de lumière et centre spirituel, il représente la Connaissance et la vérité (ne dit on dit pas que « la vérité est au fond du puits » ?). Mais d’un autre côté, il symbolise aussi ce qui dissimule la vérité : il est l’image de la dissimulation, de l’obscurité, de l’abîme et même de l’enfer.
Cette dualité fait du puits le symbole même de l’être humain, sans cesse ballotté entre sa face obscure et sa face lumineuse :

« c’est au dedans de soi qu’il faut regarder le dehors »
« le profond miroir sombre est au dedans de l’homme »,
écrit Victor Hugo.

 

 

Dans la Bible : le puits comme source de Vie

 

Le puits figure au centre de la rencontre entre la Samaritaine et Jésus qui lui dit :

« Celui qui boira l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source, jaillissement de vie éternelle » (Jean, 4, 13-14).

Catherine Bensaid et Jean Yves Leloup, dans leur très beau livre Qui aime quand je t’aime ?, reprennent l’image du puits comme source de vie et d’amour.
Ils comparent la soif au désir et l’eau vive à l’amour : une soif trop vive et douloureuse empêche d’accéder à l’autre, à l’amour, à la vie. De là vient la confusion entre aimer et chercher à combler le manque, ce qui n’est évidemment pas la même chose !! ? ?

Le puits sans fond

On retrouve la notion de « puits sans fond » au centre même de la psyché humaine aux prises avec la souffrance de se sentir non aimé.e, ou incapable d’aimer (et souvent les deux à la fois ?) : cette pénible sensation d’un vide à combler impossible à remplir comme un « puits sans fond », où l’on s’épuise à puiser l’impossible. Oui, à trop vouloir puiser ailleurs qu’en soi, on s’épuise !!

Pourtant, comme l’écrit Etty Hilllesum,

« la source vitale doit toujours être la vie elle même, et non une autre personne ».

Au bout de cette quête épuisante et vaine, il n’y a que la souffrance et l’illusion de croire que l’on n’est pas aimé.e, qu’on ne sera jamais assez aimé.e, il y a l’aveuglement de l’ego qui attend qu’un élément extérieur ou une autre personne comble son propre manque d’amour et/ou son vide existentiel « sans fond ».
Car si aimer est un don total, absolu, vouloir être aimé.e est une attente qui ne sera jamais satisfaite, un leurre qui se nourrit de sa propre souffrance et n’apportera ni la joie… ni bien sûr l’Amour !! ?
Toute l’expérience humaine suppose la transformation de cette quête pour faire l’expérience d’une soif qui ne soit pas souffrance. Pour vivre avec l’autre une relation qui coule de source, c’est à dire qui ne se construise pas sur le manque, mais sur le plein.

« Je viens vers toi avec mon désir et non avec mon manque, avec ma source, et non avec ma soif. »

Aller au fond du puits

C’est une démarche nécessaire pour se connaître et pouvoir ainsi rencontrer l’autre.
C’est aussi une métaphore de l’introspection et de la méditation. Et du travail de conscience.
Oh, on a souvent peur de descendre au fond du puits !! Car le fond du puits est encombré de gravats : peurs, autolimitations, croyances passées, illusions et désillusions. Il est nécessaire pourtant d’aller au-delà de ses peurs : car au fond du puits brille aussi la flamme, la lumière. ?

« Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l’atteindre ; mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour », écrit Etty Hillesum.

Prendre le temps d’aller au fond du puits, et y rester le temps suffisant ; rester fidèle à l’essentiel de sa quête ; et trouver là une lumière qui jamais ne s’éteint ; sentir la vie qui coule dans mes veines. Car même au plus profond de la douleur, la vie est là.
Croire en sa propre richesse pour remplir le puits d’une eau éternelle. Alors vient le don : don de soi, don de vie, don d’amour.
C’est cela vivre, c’est cela aimer. Vivre d’un amour qui est une eau vive. ? ? ?

 

 

Dans le Yi King : l’hexagramme Jing (48)

On retrouve le symbole du puits dans le Yi king, le livre des changements, avec l’idéogramme JING (48) composé des deux trigrammes Eau (en haut) et Bois (en bas). L’image traditionnelle de cet hexagramme est celle d’un seau qu’on a lesté pour aller chercher l’eau pure au fond du puits. On dit que l’eau pure est au fond et non en surface.

  • La symbolique du puits :

Le puits est ce qui relie : symbole du lien entre les humains et de leur aptitude à vivre en commun, il représente à la fois la source invisible et le centre immobile autour duquel s’organisent les échanges. En tant qu’axe vertical, il permet d’accéder à la source intangible, et chacun peut, en approchant de sa nappe profonde, construire son activité en s’y reliant.
Le symbole du puits évoque la nécessité d’allier la patience et l’habileté. Il marque aussi l’aboutissement bénéfique du processus qui transforme la vase en eau pure.
Symboliquement, le puits suppose de savoir établir un lien entre l’interne et l’externe :

« se centrer paisiblement tout en restant disponible et accessible – poreux – permet de se poser à un niveau de profondeur plus constant que d’éphémères frontières », écrit Cyrille Javary.

 

  • Le sens divinatoire du Puits dans un tirage :

JING marque une situation que nous ne pouvons résoudre qu’en nous tournant vers l’intérieur de nous même, en revenant à notre centre. Il y a donc l’idée de faire le chemin seul.e : toutes les réponses dont nous avons besoin sont en nous même. Cet hexagramme souligne l’importance de descendre régulièrement en nous même. Si nous ne nous tournons pas vers l’intérieur, ça ne marche pas. Les textes taoïstes disent en effet que “la corde pourrit et le seau tombe”. Il est donc important d’entretenir cette relation profonde avec nous même, pour qu’elle ne s’étiole pas.

 

 

 

Et dans la pratique du Hatha Yoga ?

Il existe une jolie posture, qui est aussi une Mudrâ (= geste symbolique et énergétique dont je parle dans mon article) : Tadaka Mudrâ.
C’est la posture du puits ou du réservoir : réservoir de vie et d’énergie, réservoir d’amour et de joie que j’emmagasine et garde en moi, car je suis la source de vie même !! ❤️

Tadaka Mudrâ est à la fois une posture d’étirement et un Bandha : en position allongé.e sur le sol, les genoux sont pliés, les pieds sont devant le bassin ; on étire les deux bras en arrière de la tête et on les pose sur le sol, de chaque côté des oreilles ; après avoir expiré longuement, on reste en suspension à poumons vides afin d’installer Uddîyâna Bandha. Le ventre alors se creuse et forme “comme un puits”. Puis, quand vient le besoin d’inspirer de nouveau, on laisse entrer l’air doucement. On peut reprendre 5/6 fois l’exercice.

Plus encore que toutes les autres postures du Hatha Yoga, les postures-Mudrâ sont porteuses d’une puissance transformatrice : non seulement elles agissent sur le corps physique et énergétique, mais elles nous permettent d’atteindre des zones profondes de notre être afin de les transmuter : puiser dans nos peurs, nos désirs, nos doutes, nos conditionnements mentaux, nos raideurs, nos tensions, nos blocages, nos résistances….. pour atteindre, tout au fond, notre joie, notre calme, notre sagesse, notre beauté, notre élan de vie, notre courage, notre ardeur…?

 

 

Tadaka Mudrâ nous invite à toucher le vide sans que cela génère angoisse ni souffrance, mais, bien au contraire, pour l’accueillir comme terrain premier de l’existence, comme espace d’accueil où peut surgir – telle la flamme qui brille au fond de la caverne ? – la joie, le calme, la divine surprise, le miracle, l’amour qui est la source de la Vie même.? ?? ?

 

Descends au fond du puits, traverse l’obscurité, désencombre les gravats, et découvre ta lumière. Sois la source même de ta vie et de ton amour. ❤️

 

 

 

 

Bibliographie :

Dictionnaire des symboles, de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant
Qui aime quand je t’aime, de Catherine Bensaid et Jean Yves Leloup
Yi king, le livre des changements, de Cyrille Javary
Alice au pays des merveilles, de David Chauvel et Xavier Collette, d’après Lewis Carroll
Yi Jing, mieux se connaître, prendre les bonnes décisions, de Serge Augier

 

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4 commentaires

Marlène Blanchard · 12/11/2019 à 13:53

Quel bel article Fabienne !

Au fond du puits est la lumière.
Aller chercher notre moi profond.
A la recherche de notre force.

Marlène

    Nina Costa · 12/11/2019 à 13:56

    merci Marlène !! ??
    oui c’est ça : puiser en soi sa propre force et trouver sa lumière ???

Costa · 17/11/2019 à 15:03

C’est un très bel article, très intéressant et original, et aussi source d’optimisme, alors que en général le puits est considéré comme effrayant et dangereux. J’ai personnellement toujours eu assez peur des puits…
J’ai réfléchi au puits dans la littérature. en dehors de celui d’Alice au pays des Merveilles, mentionné dans l’article, que j’avoue avoir oublié ( j’ai lu ce livre enfant, et il ne m’a jamais emballe), j’ai pensé à deux références : le puits dans
la Bible , le puits de Jacob ( en fait il y en a deux : celui qu’il offre aux Samaritains et dont on retrouve la trace ou la métaphore dans l’Evangile selon Saint Jean ( Jésus et la Samaritaine) et celui où Jacob rencontre Rachel, qui
sera sa seconde épouse). et puis le terrible ” le puits et le pendule ” d’Edgar Poe
, lieu de torture et d’angoisse ( mais cela finit bien). Bravo pour ce très bel article

    Nina Costa · 19/11/2019 à 10:33

    Merci pour ce commentaire ??
    Je ne suis pas étonnée que le puits apparaisse dans de nombreux mythes bibliques : c’est un archétype universel. Que l’on retrouve donc dans la littérature, comme vous l’indiquez. Je ne connaissais pas cet écrit d’Edgar Poe…

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